Notre histoire commence par une sombre journée d’été, chaude et humide, orageuse et mystérieuse. Dans une maison de banlieue parisienne aisée, un petit garçon entre dans la salle de jeux d’un pas décidé et s’empare de la manette de la console de jeux vidéo de son papa. Il n’a pas le droit d’y jouer sans autorisation, mais aujourd’hui, il a décidé qu’il y jouerait malgré tout.
Il allume la télévision et la console se met à luire d’une lumière verdâtre un peu inquiétante. Mais à neuf ans on ne se pose en général pas trop de questions et le petit garçon n’y prête pas du tout attention.
La télévision s’illumine et l’écran titre du jeu apparaît. « Le monde des dragons ». Tiens, il ne le connaît pas celui-là. Il appuie sur un bouton de la manette pour lancer le jeu, et tout d’un coup, le monde se met à tourner autour du garçon. Un grand tourbillon sort de la console et le petit garçon se sent attiré irrésistiblement. Il est ensuite avalé par la console et disparaît complètement, laissant derrière lui la manette sans fil par terre, au milieu du tapis. Il n’y a plus un bruit dans la pièce et plus une trace du petit garçon.

On entend une voix féminine venir de l’étage inférieur de la maison qui appelle « Jean-Edouard ? Jean Edouaaaaard ? tu viens mon chaton ? Tu fais quoi ? ». Bien sur aucune réponse.
Le petit garçon ouvre les yeux. Il se sent comme après une longue nuit de sommeil et met un peu de temps à comprendre ce qui l’entoure. Le sol est dur sous lui, et il y a peu de lumière. Le mur près duquel il se tient est en bois, le sol également. Il sent que tout bouge doucement autour de lui comme une sorte de tangage.
« Je suis sur un bateau ? Mais oui, je suis sur un bateau ! »
Il distingue maintenant des caisses et des tonneaux. Il est sûrement dans la cale du bateau, et tout au fond, dans un coin libre. Enfin il le suppose, il n’a jamais mis les pieds sur un bateau mais il se rappelle les illustrations des histoires de marins qu’il a lu avec son papa et sa maman.
Ensuite, il se rend compte qu’il a changé de vêtements. Il était en short et t-shirt dans sa maison mais maintenant il porte un pantalon court en toile en assez mauvais état et une chemise blanche déchirée. Il fait très chaud, il transpire, ses cheveux blonds sont plaqués sur sa tête.
« Mais qu’est-ce que je fais ici ? » se dit-il.
C’est à ce moment qu’il fait attention au bruit ambiant. Un bruit de bateau rempli de marins en train s’occuper d’affaires de marins. Le petit garçon, curieux, s’approche de l’échelle menant au pont. Il la gravit tout doucement et passe sa tête discrètement pour jeter un œil. Et il comprend immédiatement que ce n’est pas à des marins ordinaires qu’il a affaire, mais à des Pirates ! Jambes de bois, crochets, bandeaux sur l’œil, barbes et tricornes … il a du mal à y croire.
Sans s’en rendre compte, il s’est redressé et sa tête dépasse de l’échelle, et sans prévenir, il se fait attraper par le crochet d’un pirate qui le soulève au niveau de ses yeux.
- On a un passager clandestin les gars !
- Ah ah ah, dis un autre pirate avec un mauvais air, qu’est-ce qu’on va en faire ?
Le petit garçon est terrifié. Il sait nager. Enfin à peu près. Mais il n’a pas du tout envie d’aller vérifier ça de suite.
Une grosse voix retentit :
- Qu’est-ce que j’entends ? Un passager clandestin ?
Tous les pirates se figent. On sent d’ici la peur et le respect qu’ils ont pour celui qui vient de parler. Le capitaine bien sûr. La première chose qu’on se dit en le voyant c’est qu’il est loin d’être maigre. Il porte un gigantesque chapeau de pirate, un pistolet et une épée. Mais ce qui tranche le plus c’est sa longue barbe verte.
Le capitaine s’approche du petit garçon, toujours suspendu au crochet du pirate.
- Que fais-tu sur mon bateau moucheron ?
Le petit garçon bredouille quelque chose d’incompréhensible.
- Sais-tu qui je suis ?
- Barbe verte ? répond le garçon sans malice. Dans tous ses livres d’histoires, les pirates s’appellent toujours barbe bleue, barbe noire, barbe rouge …
Le capitaine ne répond pas tout de suite. Évidemment la réponse est bonne. Le capitaine ne s’y attendait pas. Il semble plus méchant qu’intelligent.
- Un p’tit malin ! dit-il à la ronde et tous les pirates du bateau se mettent à rire.
- On va voir si tu vas faire encore le malin longtemps !dit-il en regardant le garçon d’un air méchant. Voici notre nouveau mousse les gars ! Il va faire toutes les tâches ingrates, n’hésitez pas à lui demander de laver vos chaussures ou les toilettes. Éplucher les patates ou récurer le pont avec une brosse à dent. Enfin, si on trouve une brosse à dents sur ce bateau !
Nouveau rire général. Et avant que l’euphorie ne retombe, le capitaine Barbe Verte reprend de plus belle :
- Mais d’abord, faisons de lui un vrai pirate !
Et là, tous les marins éclatent de joie. Accueillir un nouveau pirate, même si c’est un passager clandestin, est une bonne occasion de faire la fête et de boire du rhum. Mais d’abord le nouveau pirate doit être tatoué du symbole des pirates.
Chaque bateau pirate a son symbole. Et pendant que les pirates préparent les tonneaux de rhum et les choppes, notre petit garçon se retrouve attaché à une chaise, et un gros pirate avec de grosses lunettes réalise un tatouage plutôt élaboré sur son épaule. Une tête de mort avec des cicatrices, deux épées à la place des os, et des ailes de chaque côté. S’il n’avait pas autant mal à cause de l’aiguille du tatoueur, il se dirait que ce tatouage est super cool. Une pensée lui traverse l’esprit : mais que vont dire papa et maman ? mais elle est vite oubliée.

Une fois le tatouage terminé, tous les pirates remplissent leurs choppes, et commencent à faire la fête. Un pirate sort même un violon et commence à jouer un air entraînant.
Dans ce vacarme assourdissant, notre petit héro épuisé s’endort sur le pont, dans un coin. Il fait bien de se reposer, car les prochains jours ne seront pas aussi calmes qu’une croisière sur un yacht.
Les trois jours suivant s’enchaînent et passent en un rien de temps. Les pirates suivent les instructions de Barbe Verte à la lettre et notre petit héro enchaîne les tâches ingrates les unes après les autres. Et il faut croire qu’il y a au moins un pirate qui n’a pas envie d’avoir mauvaise haleine car ils ont bien trouvé une brosse à dents pour lui faire récurer le pont. Après ces trois jours, notre héro est épuisé et il entame ce quatrième jour avec appréhension.
Bon… après, pour être complètement honnête, les pirates ne sont pas si méchants avec lui. Ils lui donnent beaucoup de travail mais en même temps, ils ne l’embêtent pas trop. Certains sont même sympas avec lui. Comme le tatoueur, un gros bonhomme bourru qui s’appelle Jojo. Le cuistot aussi est sympa et il lui donne toujours du rab de nourriture en cachette. Tout le monde l’appelle chef donc il ne connaît pas son vrai nom. Et même Barbe Verte, qui fait le dur, semble avoir un coté plus tendre, mais bien caché.

Bref, ce quatrième jour commence comme tous les autres, sous un soleil de plomb en pleine mer. Après un petit déjeuner rapidement avalé, le chef lui demande de laver la vaisselle de la veille. Mais après quelques minutes de travail, on entend la vigie se manifester :
- Voile à bâbord ! voile à bâbord. Un marchand d’Astralon probablement !
Barbe Verte hurle en retour :
- Au boulot les gars ! On se bouge, je veux remplir les cales, on n’a plus de rhum ! à l’attaaaaaaaaque, et toutes voiles dehors !
Tous les pirates en cœur : « Yeaaaaaaaaah ! »
A ce moment-là, l’ambiance sur le bateau change du tout au tout. Les pirates, que le petit garçon considérait comme presque gentils, se transforment en brutes et lui font peur. Les lames sont affûtées, et plusieurs pirates s’affairent à préparer les canons, mais la plupart s’occupent de déployer toutes les voiles possibles. Il faut rattraper le lourd navire marchand. Le petit garçon décide de se cacher dans un coin sur le pont, sous un filet pour pouvoir observer tout ça. La vaisselle pourra bien attendre.
En quelques minutes, la bateau pirate, profilé pour la vitesse, rattrape le bateau de marchands. Les marins de l’autre bateau les ont vus arrivés et sont aussi en train de se préparer à l’assaut. Ils ont l’air tout aussi féroces que les pirates. Quelques coups de canons sont échangés entre les 2 bateaux. Les pirates ont visé le mat adverse, et les marchands ont plutôt essayé de couler les pirates. Mais il semblerait qu’aucun des deux côtés ne soit particulièrement doué pour tirer des boulets de canon, au grand soulagement du garçon qui commençait à avoir vraiment peur de devoir arrêter un boulet à mains nues.
Dès que les bateaux sont assez près l’un de l’autre, les pirates lancent des grappins, et l’abordage est proche.
Mais à ce moment, un pirate crie quelque chose qui fait que tout le monde s’arrête. Les combats cessent et toutes les personnes présentes, pirates comme marins lèvent la tête vers le ciel. Le petit garçon n’a pas bien entendu ce qui a été crié. Mais le pirate hurle de nouveau :
- Dragoooooooooooooooooooooooooooooooon !