En quelques minutes, le chaos de la bataille cède la place au chaos de la panique et de la fuite. D’un côté comme de l’autre, on ressent l’urgence et la peur.
Certains sautent directement à l’eau sans réfléchir, tandis que dans le ciel, une créature ailée d’un rouge profond s’approche. Un vrai dragon, comme les petits enfants les imaginent. Des ailes immenses, une longue queue, un corps énorme, le tout recouvert d’écailles et une tête effrayante. Des cornes gigantesques, des yeux rouges et en colère, une gueule béante pleine de dents longues comme des épées. De la fumée s’échappe de la bouche du dragon, il s’apprête à cracher le feu.
Et en quelques secondes, tout est fini.

Après avoir mis le feu aux deux bateaux, et donné un coup de griffe puissant à chacun d’eux, le dragon repart en lançant un long cri profond.
Notre héro n’a pas demandé son reste et s’est jeté à l’eau avec tous ses compagnons d’infortune. Marins et pirates ne pensent plus qu’à survire. Chacun s’accroche comme il le peut à un morceau d’épave et tous se mettent à nager en direction de l’île la plus proche, qu’on peut apercevoir au loin.
Le garçon fait de même, et après ce qu’il lui a semblé être plusieurs heures de nage sous le soleil, ils arrivent tous sur une plage de sable blanc. L’île est assez petite, recouverte d’une forêt luxuriante entourant une petite montagne. Peut-être un ancien volcan.
Les marins et les pirates sont assez organisés. A croire que ça leur arrive tous les jours. Deux camps se créent assez vite sur la plage, le plus loin possible l’un de l’autre. Le garçon, lui, se cache dans la forêt, se disant qu’il a passé assez de temps avec les pirates. Il n’essaye même pas d’aller voir les marins, le tatouage qu’il a à l’épaule ne lui permettra pas d’être bien accueilli, il n’en doute pas une seconde.
Il a déjà vu des émissions de télé ou des gens survivent sur une île exactement comme celle-là. Il se dit, qu’il lui suffit de trouver de l’eau et du manioc et tout devrait bien se passer. Ah, et faire du feu aussi … bon ça ce n’est pas gagné, mais il verra plus tard.

Il doit être environ midi, et le garçon décide d’explorer l’île. Il doit se trouver un abri pour la nuit. Il ne sait pas combien de temps il va rester ici. Il sait aussi qu’il n’est pas complètement tout seul et ça le rassure un peu, mais il préfère éviter de retourner voir les pirates.
Il s’enfonce donc dans la forêt, humide et dense. Les insectes le trouvent apparemment appétissant, et il doit les chasser en permanence. Après une bonne heure de marche, sans but précis, il se rend bien compte que la tâche ne va pas être simple. Il décide donc de s’enfoncer un peu plus dans la forêt et d’aller vers la montagne.
Il arrive à l’entrée d’une immense grotte. Une chance se dit-il ! Enfin si elle n’est pas occupée. Il va de nouveau devoir explorer. La fatigue commence pourtant à se faire sentir, mais il n’a pas le choix. Il rentre donc à pas mesurés dans la grotte. Il ne sait pas s’il doit faire du bruit pour faire peur aux animaux potentiellement présents, ou si ça risque au contraire d’attirer des animaux (voir autre chose, qui sait) qu’il n’a pas vraiment envie de rencontrer.
C’est donc sans un bruit qu’il pénètre dans la grotte … et qu’il fait aussitôt demi-tour ! Pas de chance, se dit-il, car au bout de quelques mètres il n’y voyait déjà plus rien.
Je vais avoir besoin de lumière. Qui dit lumière dit feu. Qui dit feu dit … que je vais devoir aller en voler…
Le garçon se confectionne une petite paillasse avec des feuilles qu’il a trouvées près de l’entrée de la grotte et se repose un peu en attendant la nuit. Il va falloir qu’il soit discret pour voler le feu, il doit donc récupérer autant d’énergie que possible.
Il s’endort quelques heures et c’est la faim qui le réveille. Son ventre gargouille. La nuit est sur le point de tomber. C’est le moment se dit-il. Il se dirige alors vers le camp des marins. Il a choisi ce camp en premier car les pirates lui font trop peur finalement. Il ne veut pas redevenir leur « mousse à tout faire ».
Mais il va déchanter très vite en voyant que les marins ont mis en place des gardes tout autour de leur camp. Ils ne font pas confiance aux pirates et le garçon les comprend très bien. Aucun moyen de passer, il n’a donc plus d’autre choix que de se tourner vers le camp des pirates.
C’est avec la peur au ventre, et le ventre gargouillant, qu’il s’approche du camp. Il voit le feu flamber de loin, et voir son objectif le motive. Les pirates semblent moins bien organisés que les marins, car aucun d’eux ne monte la garde. En s’approchant, le garçon se demande même s’ils sont bien là car il ne voit personne. En arrivant assez près, il découvre les pirates allongés par terre, presque les uns sur les autres, en train de ronfler bruyamment. Les bouteilles de rhum jonchant le sol autour d’eux permettent rapidement à Nat de comprendre la situation. Les pirates ont dû mettre la main sur une caisse de bouteilles de rhum des marchands, et les ont bues sans hésiter et sans réfléchir.
Au moins, la mission est accomplie sans encombre. Le garçon récupère une bûche du feu et l’emmène avec lui. Il est tellement content qu’il part sans demander son reste, et sans penser à récupérer de l’équipement dans le camp des pirates. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’il regrettera de ne pas avoir au moins récupéré un couteau ou une dague. Voire une épée.
De retour à son camp de fortune, il allume le petit bûcher qu’il avait préparé à l’abri d’un gros rocher. Il est fier de lui, et s’imagine la musique de son émission de télé retentir comme s’il avait gagné l’épreuve du jour.
La nuit est maintenant bien tombée. Le garçon se dit qu’il explorera la grotte le lendemain, tranquillement, et se couche donc pour la nuit, près de son feu et du tas de bûches prêtes pour l’alimenter. Quelques minutes plus tard il s’endort paisiblement, et encore quelques minutes plus tard, il se réveille en panique, après avoir entendu un bruit provenant de la forêt. Ou de son estomac, il ne sait pas bien.
Bon, finalement, si on l’explorait cette grotte ?

Armé d’une torche, il s’enfonce donc dans la sombre grotte. A première vue, elle n’est pas occupée. Aucune trace de visite récente, et en s’enfonçant un peu plus, il tombe sur de belles toiles d’araignées. Il se dit que les araignées sont sûrement parties depuis longtemps, enfin il espère, mais au moins, il sait que la grotte n’a pas été visitée récemment. C’est ainsi qu’il va marcher plusieurs longues minutes, et après avoir fait d’innombrable virages dans tous les sens, traversé des cavernes de toutes tailles, avoir dû ramper dans des goulots, nager pour traverser des rivières souterraines, il finit par arriver dans une nouvelle caverne gigantesque. Elle semble illuminée par une douce lumière mais il n’arrive pas à savoir d’où elle vient. Il éteint sa torche.
La caverne est parsemée de grands blocs de roche qui l’empêchent de voir bien loin. Il avance prudemment, mais courageusement aussi. Sans aucun doute, il ne s’attend pas à la rencontre qu’il va faire ensuite.
Au détour d’un rocher, il tombe nez à nez avec un dragon. Un petit, mais quand même, un peu plus grand que lui. Rouge, comme celui qui a attaqué les bateaux. Une pensée traverse son esprit, mais il n’a pas vraiment le temps d’y réfléchir. Son instinct de survie est plus fort et il part en courant dans la direction opposée au dragon.
Mais la fuite ne va pas durer longtemps. Au bout du deuxième virage, c’est face à face à un gigantesque dragon qu’il se retrouve. Rouge, lui aussi. Le Dragon qui les a attaqués. C’est bien ce qu’il avait pressenti. Il s’est engouffré de lui-même dans le repère des dragons !
Le petit dragon l’ayant suivi, il se retrouve bloqué, et le gros dragon, avec son air méchant, s’apprête à cracher le feu et à le carboniser.

Le petit garçon crie :
- Non, ne me faites pas de mal !
Le dragon répond :
- Tu es un humain, tu nous veux du mal !
Aussi étonné de comprendre qu’effrayé de mourir le garçon rétorque :
- Je n’y suis pour rien moi, je ne viens même pas de ce monde !
Le Dragon s’arrête net. Il dit d’une voix étonnée :
- Tu m’as compris ?
- Ben… oui.
Le Dragon semble se calmer et réfléchir. Il dit comme en se parlant à lui-même : ça fait des centaines d’années qu’un humain n’a pu communiquer avec les dragons … serait-ce … ?
En se tournant vers le garçon :
- Qui es-tu ?
Hésitant, le garçon répond : Je… je m’appelle Jean Édouard Nathanaël. Mais tout le monde m’appelle Nat.
- Nat … quel nom étrange.
- Oui mais je préfère ça à Jean Édouard Nathanaël moi, dit-il d’une petite voix.
- D’où viens-tu, Nat ?
- Ben, de France… tu connais ?
Le Dragon se trouve bien étonné par ce petit garçon qui le tutoies et qui semble déjà ne plus avoir peur de lui.
- Non je ne connais pas ce France. C’est un village ? Dans quel royaume se situe-t-il ?
- Royaume ? Non, non, c’est un pays. En Europe. Ça ne te parle pas ?
- Non …
Le Dragon réfléchit. Mais c’est l’estomac de Nat qui le faire revenir à lui.
- Tu as faim, Nat ? (Il dit « Nat » à chaque fois d’une voix traînante, comme s’il faisait un effort pour prononcer un mot qu’il n’a pas l’habitude de dire).
- Oui je meurs de faim.
- Mon fils va te chercher à manger.
Le petit Dragon que Nat avait presque oublié avait suivi toute la conversation et semblait particulièrement excité. Il s’envole et sort de la caverne par une trouée du plafond. Il revient quelques minutes plus tard avec une sorte petite chèvre dans les griffes.
Le petit Dragon demande :
- Tu manges cru ou cuit ?
- Euh … cuit, je préfère.
- Pas de problème, je m’occupe de te griller ça.
Le petit Dragon crache une belle flamme sur la chèvre et la fait rôtir en quelques secondes. Il a l’air fier de lui. Et Nat est impressionné. Il le remercie et commence à manger avec appétit ce repas incroyable.
Le grand Dragon, reprend la conversation.
- Que fais-tu ici, petit Nat ?
Nat lui raconte donc son histoire depuis le début. Depuis la console de jeux, qui semble être un concept très abstrait pour un Dragon, en passant par les pirates, et l’attaque sur les bateaux. Nat demande au Dragon :
- C’est bien toi qui nous as attaqué, hein ?
- Oui c’est moi. Les humains nous chassent dès qu’ils nous voient. Alors qu’avant ils nous respectaient et nous étions des souverains pour eux. Je m’efforce de les éloigner d’ici où nous vivons en paix avec mon fils. Je m’apprêtais d’ailleurs à aller faire le ménage sur ma plage.
- Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Il n’y a pas de Dragons en France.
- Je suis désolé petit Nat.
- Tu peux m’appeler Nathan si tu préfères, tu sais ?
- Nathan, oui c’est mieux. Au fait moi je m’appelle Aetherwindythorionflare. Mais tu peux m’appeler Aether.
- Enchanté Aether. Et toi comment tu t’appelles ? dit-il en se tournant vers le petit Dragon ?
- Mysterionflamethraxilium. Mais tu peux m’appeler Myst ! » La mode des diminutifs semble être appréciée des dragons. Il continue : « Nous sommes des dragons rouges, des dragons de feu ! »
- Ah ! il y a d’autres types de Dragons ?
- Oui bien sûr ! il y en a plein ! Mais les principaux sont les bleus, les Dragons d’eau, les verts, les Dragons « nature » (on voit bien qu’il dit nature avec un air moqueur), les Jaunes, les Dragons des sables et bien sur les Rouges comme nous. Enfin, il n’en reste plus tant que ça aujourd’hui, dit-il tristement. Je suis un des derniers de ma lignée.
Les Dragons et Nat deviennent amis. Nat convainc le Dragon de ne pas faire de mal aux marins et aux pirates, et tous les trois passent des heures à discuter. Nat a plein de questions sur les Dragons et Aether lui raconte la longue histoire millénaire de ses ancêtres. Les Dragons étaient là avant les humains, ils les ont vus évoluer et devenir ce qu’ils sont aujourd’hui.
Il lui raconte les périodes de paix, où le monde était peuplé d’innombrables Dragons. De l’aide qu’ils ont porté aux humains quand ils ont commencé à évoluer. Et ensuite des guerres que les humains ont déclenchées. Nat lui, essaye de lui décrire au mieux son monde, les voitures, les avions, l’école, les jeux vidéo, mais il voit bien qu’il a du mal à se faire comprendre. Alors il lui parle des livres d’histoires qu’il a lus avec son papa et sa maman et où les Dragons étaient décrits. Les gentils et les méchants, mais toujours fabuleux et passionnants. Nat se trouve bien chanceux de pouvoir être ami avec l’un deux.